« Vous êtes officiellement prisonnier d’Israël » : Pascal Maurieras, de la Flottille pour Gaza, revient pour la première fois sur son incarcération
L'Humanité du 19 juin 2025
Pascal Maurieras, l’un des marins de la Flottille pour Gaza, est rentré en France mercredi soir avec le journaliste de « Blast », Yanis Mhamdi. Pour « l’Humanité », il raconte ses conditions d’incarcération.
Il y avait peu de monde ce mercredi à Roissy pour accueillir les deux derniers ressortissants français de la Flottille pour Gaza. Quelques amis, la famille. Six jours auparavant, les caméras se pressaient autour de Rima Hassan. Cette fois-ci, rien. Pas un seul appareil à l’horizon. Pascal Maurieras, visage creusé, est exsangue. Arraisonné dans les eaux internationales par l’armée israélienne dans la nuit du 9 juin, arrêté avec les onze autres membres du Madleen, le marin a réussi à rentrer en France le 18 juin après avoir passé sept jours dans un centre de rétention au sud de Tel-Aviv pour immigrés clandestins.
Des conditions de détention précaires : « nous avons été séparés, les femmes dans une cellule et nous dans une autre. Nous n’avions aucun contact avec les autres détenus. Nous étions autorisés à une seule promenade en fin d’après-midi, à l’abri des regards des autres ». La plupart des prisonniers, dont lui, sont passés tour à tour devant une juge.
Une salle d’audience où siégeaient des policiers qui faisaient cracher leurs talkies-walkies à chaque instant. Le deal était simple : « soit tu signes un papier où tu reconnais être entré illégalement en Israël et tu repars aussi sec. Soit tu ne signes pas et tu te diriges vers la gauche de la salle ». Maurieras, comme la grande majorité des membres du Madleen n’ayant pas signé, a été fouillé, ainsi que ses affaires. Remis entre les mains de la police des frontières pour être incarcéré, il s’entend alors dire : « À compter de cette minute, vous êtes officiellement prisonnier d’Israël ».
« Nous n’avons jamais eu l’intention d’aller en Israël »
Transféré dans le centre de rétention, on leur propose de nouveau de signer un autre papier, libellé différemment, plus ambigu. Mais l’idée est de les faire « avouer » qu’ils sont tous entrés illégalement en Israël. « Nous n’avons jamais eu l’intention d’aller en Israël. Notre but était de pouvoir accoster à Gaza avec le peu de matériel que nous avions à bord. Pas question de céder à ce que je considère être un acte de piraterie de la part de l’armée israélienne dans les eaux internationales ».
Pendant ces sept jours de détention, plus aucun repère. On leur a tout confisqué, ils n’ont que leurs vêtements sur la peau. La majorité ayant jeté leurs portables à la mer au moment de leur arraisonnement, ils ont très vite perdu la notion du temps. « De temps en temps, un gardien un peu moins vache nous donnait l’heure. On la notait sur le mur en essayant de faire des calculs improbables avec le peu de rayons solaires qui passaient à travers les soupiraux à plus de 4 mètres de hauteur ».
La cellule, composée de 4 lits superposés, d’une douche et d’une toilette, est envahie de punaises qui provoquent des démangeaisons terribles chez certains, « ce qui fait rire nos gardiens. De temps en temps, sûrement pour nous intimider, ils débarquaient à une vingtaine, dont certains cagoulés, observaient les graffitis sur les murs, les prenaient en photo et ressortaient sans dire un mot. Ils nous empêchaient de dormir, nous réveillant à n’importe quel moment de la nuit ».
« Après le départ de Rima Hassan et Greta Thunberg, les autorités israéliennes ont commencé à nous renvoyer deux par deux. Yanis Mhamdi, Marco Van Rennes (le skipper néerlandais, NDLR) et moi devions partir le vendredi 13 juin. Dans la nuit qui précédait notre départ, vers 4 heures du matin, on a entendu les sirènes et les premiers missiles zébrer le ciel. À travers les soupiraux, on voyait la plupart de ces missiles interceptés par le dôme de fer, mais pas tous. C’était étrange ». Le vendredi en fin de matinée, les chefs des gardiens les informent que l’espace aérien est fermé et qu’ils ne pourront pas partir : « là, tu te dis que c’est le coup de trop. Marco avait rejoint l’aéroport tôt le matin et on l’a vu revenir… ça a été encore plus terrible pour lui ».
Libération via la Jordanie
Pendant tout ce temps, le consulat français se démène pour les faire libérer via la Jordanie. « Le dimanche (15 juin, NDLR), le consul vient nous voir et nous explique la situation. On comprend, parce qu’on l’ignorait, qu’Israël est en état de guerre après ses attaques contre l’Iran, que le pays était à l’arrêt total. Depuis notre cellule, on n’imaginait pas tout ce qui se passait… » Plus tard dans la journée, le chef des gardiens leur confirme leur extradition pour le lundi matin. « Il s’est assis sur une chaise et nous a tenu un drôle de laïus, nous disant qu’il comprenait notre démarche, qu’on n’était pas des gens violents mais manipulés et qu’Israël ne faisait que se défendre, que c’était trop dangereux d’aller à Gaza ». Ils l’ont laissé dire…
Le lundi 16 juin, à 10 heures du matin, Pascal Maurieras et ses compagnons ont embarqué à bord d’un véhicule israélien qui les a conduits jusqu’à ce no man’s land qui sépare Israël de la Jordanie. Là, ils ont retrouvé leurs avocates palestiniennes d’Israël qui avaient pu les assister lors de leur séjour en prison, venues sur place pour s’assurer du bon déroulement du transfert.
« C’était très émouvant. Elles n’arrêtaient pas de nous remercier, nous ont même apporté des gâteaux qu’elles avaient confectionnés la veille et de l’eau ».
Sur place, on leur fait un visa. À ce moment-là, ils peuvent franchir la frontière et retrouver une voiture de l’ambassade de France venue les chercher pour les conduire à Amman. « Nous avons été hébergés chez un Palestinien membre de la coalition internationale pour la flottille de la liberté ». Le mardi n’a pas été une journée de tout repos, « mais ce fut une journée formidable. Nous avons rencontré de nombreuses associations de femmes et de juristes palestiniens. Les échanges ont été riches, généreux et passionnants. Tous nous remerciaient et exprimaient un sentiment de culpabilité. Quand on connaît les liens qui unissent la Jordanie et Israël, on se dit que ça ne doit pas être facile d’être Palestinien dans ce coin-là. On mesure combien la rue arabe est muselée ».
Mercredi 18 juin, à 7 heures du matin, Pascal, Yanis et Marco ont quitté leur hébergement pour l’aéroport. Amman-Doha, Doha-Paris pour les deux Français, Marco Van Rennes ayant directement rejoint les Pays-Bas. 22 heures, aéroport CDG Terminal 1. Ils sont enfin là. Soulagement des familles présentes. Les traits sont tirés mais la détermination est intacte : « s’il fallait le refaire, je le referai. Pendant une dizaine de jours, on a été coupé des nouvelles du monde et ce qui se passe avec l’Iran est inquiétant et risque d’invisibiliser ce qui se passe à Gaza et dans les territoires occupés. Mais il ne faut pas lâcher, il ne faut pas oublier la Palestine ». Samedi à midi, une réception est organisée à la Mairie de Marseille en présence de Pascal Maurieras et de Baptiste André.