En Grèce, les touristes israéliens confrontés à une vague de protestations pro-PalestineEn Grèce, les touristes israéliens confrontés à une vague de protestations pro-Palestine
Mediapart du 24 août 25
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| Manifestants exprimant leur solidarité avec le peuple palestinien, sur la place Syntagma, à Athènes, le 10 août 2025. © Photo Daniel Yovkov / NurPhoto via AFP |
Des mobilisations pacifiques se sont multipliées tout l’été dans le pays méditerranéen, où des centaines de milliers d’Israéliens se rendent chaque année. Dimanche 24 août, de nouveaux rassemblements devaient se tenir dans une trentaine d’îles et de villes.
Rhodes (Grèce).– Le port de Rhodes est sous étroite surveillance, ce vendredi 22 août. Cela ne fait que quelques minutes que Mediapart patiente devant le quai réservé aux bateaux de croisière, sur cette île parmi les plus touristiques de Grèce, avant qu’un policier en civil se présente pour un contrôle d’identité. Celui-ci s’enquiert avec une pointe d’inquiétude : « Tu es seul ? »
L’île du Dodécanèse, qui attire chaque année des centaines de milliers de vacanciers et vacancières venu·es visiter ses plages et sa cité médiévale, attend ce jour-là une arrivée un peu spéciale. Parti la veille de Haïfa, en Israël, le Crown Iris, un paquebot de dix étages doté de cinq restaurants, d’un casino et d’un terrain de basket, accoste en début d’après-midi. Il est escorté par la police du port, une escouade de la police anti-émeute et un patrouilleur des gardes-côtes.
C’est que le navire, propriété de l’opérateur israélien Mano, cristallise ces dernières semaines les tensions exacerbées en Grèce autour de la guerre à Gaza. Le 22 juillet, sur le port de l’île de Syros, le Crown Iris a fait les titres de la presse internationale : accueilli·es par quelques centaines de manifestant·es pro-Palestine, la plupart des 1 600 passagers et passagères ont dû rester à bord et ont répondu par des slogans pro-Israël, en brandissant des drapeaux du pays.
La scène s’est répétée à presque chacune des escales du paquebot, à Rhodes fin juillet, à Agios Nikolaos (Crète), à Volos ou au Pirée, malgré un dispositif sécuritaire de plus en plus musclé et des dizaines d’interpellations. Depuis plusieurs semaines, les initiatives de ce type se multiplient en Grèce. Cela devait être de nouveau le cas dimanche 24 août, avec des rassemblements en faveur du peuple palestinien prévus à Athènes et dans une trentaine de villes et îles du pays.
Jusqu’ici, le pays ne s’était pourtant pas particulièrement distingué par ses mobilisations contre la guerre israélienne à Gaza, même si des manifestations propalestiniennes rassemblent régulièrement plusieurs milliers de personnes à Athènes.
Mais les crimes internationaux constatés par les organisations de défense des droits humains, l’opération de conquête militaire et l’état de famine déclaré par l’ONU dans l’étroite bande de terre gazaouie ont coïncidé, cet été, avec l’arrivée de centaines de milliers de touristes israélien·nes sur le territoire grec. Des mouvements plus structurés et plus nombreux ont alors surgi.
Des « retraites thérapeutiques » pour les soldats
« Le nombre de mobilisations s’accroît partout en Grèce », observe Paris Laftsis, un des coordinateurs de March to Gaza Greece. L’organisation est à l’origine de l’appel du 10 août pour une « Journée d’action sur les îles et les destinations touristiques contre le génocide ». L’initiative a réussi à fédérer les dizaines de groupuscules qui agissaient jusqu’ici isolément, et a rassemblé des dizaines de milliers de personnes dans quelque 120 îles et villes du pays. Elle constitue un des plus importants rassemblements en faveur de la cause palestinienne de l’histoire de la Grèce.
« Notre objectif est de pointer la complicité du gouvernement grec et de ne pas laisser le pays devenir un lieu de détente pour les soldats de l’armée israélienne », explique Paris Laftsis. Résolument pro-arabe durant toute la guerre froide, la Grèce est de fait devenue, ces quinze dernières années, un des plus proches alliés stratégiques d’Israël au sein de l’Union européenne (UE), ainsi qu’une destination phare des touristes israélien·nes.
En 2024, ils sont 621 000 à s’être rendus dans le pays, selon la confédération grecque du tourisme (Insete), tandis que les deux pays multipliaient les projets énergétiques, militaires et économiques. De nombreux Israéliens et Israéliennes fuyant la guerre ont également trouvé refuge en Grèce depuis deux ans – le nombre de « golden visas », un programme accordant un permis de séjour de cinq ans en échange d’un investissement d’au moins 25 000 euros dans l’immobilier, a crû de plus de 90 % en 2024.
Depuis qu’Israël a enclenché sa machine de guerre en réponse à l’attaque du 7-Octobre, des « retraites thérapeutiques » de quatre jours en Grèce sont même proposées aux soldats israéliens par des « ONG » proches du gouvernement Nétanyahou. Et l’État grec n’a soutenu aucune des initiatives diplomatiques pour stopper la guerre à Gaza.
Selon Sotiris Roussos, professeur de relations internationales à l’université du Péloponnèse, les autorités espèrent ainsi « obtenir d’Israël un soutien en cas d’agression turque et un accès facilité à Washington ». Mais le premier n’est aucunement garanti et le second n’a pas encore été obtenu. De plus, le gouvernement conservateur de Kyriákos Mitsotákis doit désormais composer avec une opinion publique bien moins bienveillante à l’égard d’Israël depuis ces deux dernières années.
Cet été, les incidents impliquant des touristes israéliens ont alimenté les tensions, comme à Rhodes, où un groupe de jeunes hommes a été filmé criant « Mort aux Arabes ! » à la sortie d’une boîte de nuit. « Vous êtes des touristes, pas des conquérants ou des colons », titrait il y a quelques jours un éditorial du site d’information progressiste Rosa.
Avant même les manifestations du 10 août et celles qui se sont tenues devant le Crown Iris, des milliers de personnes s’étaient rassemblées au Pirée, le 14 juillet dernier, pour stopper un navire acheminant du matériel militaire vers Israël. Le ministère israélien des affaires de la diaspora et de la lutte contre l’antisémitisme met désormais en garde contre « le sentiment anti-israélien croissant en Grèce » et « la probabilité que de multiples manifestations dégénèrent en affrontements ou en actes de violence ».
Jusqu’ici, néanmoins, aucun incident violent n’a été signalé. De retour à Rhodes, le 22 août, le Crown Iris a pu en tout cas jeter l’ancre et ses passagers et passagères débarquer en toute tranquillité. « On essaye d’avoir des vacances normales, sans trop penser à tout ça. Les Grecs n’ont pas tous cette opinion », se rassure un père de famille originaire de Tel-Aviv à la descente du bateau.
« Je m’en fiche de toutes ces manifestations, nous n’avons pas peur », avance pour sa part Gideon Smuel – le seul des passagers à bien vouloir donner son nom. Selon le jeune homme d’une trentaine d’années, « des soldats israéliens en civil sont présents à bord pour assurer [leur] sécurité », une affirmation corroborée par d’autres voyageurs. Après quelques heures à Rhodes, le paquebot a repris sa route sans obstacle. Destination Mykonos.
