Jean-François Corty, président de Médecins du monde : la solidarité comme boussole
L'Humanité du 21 septembre 2025
| Jean-François Corty, président de Médecins du monde à la Fête de l'Humanité 2025.© Ayoub BENKARROUM À lire : Géopolitique de l’action humanitaire, de Jean-François Corty, Eyrolles, 2025. |
Le président de l’association Médecins du monde, dont l’ONG agit en Palestine, veut rester optimiste malgré le mépris grandissant des États pour l’action humanitaire.
Il affiche un sourire franc, décontracté. Comme si le monde tournait rond. Comme s’il ne portait aucun poids sur les épaules. Pourtant Jean-François Corty est régulièrement victime d’attaques sur les réseaux sociaux. « Dès que je me positionne sur le conflit israélo-palestinien pour rappeler qu’il y a un massacre en cours, un génocide, une famine créée par la main de l’homme, je suis sujet aux menaces de mort », confie le président de Médecins du monde. « Ça impacte, mais ça fait désormais partie du métier », tempère le quinquagénaire pour qui témoigner des réalités du terrain est complémentaire de l’action que son ONG y mène.
Son sens du devoir et du combat, il le cultive depuis des années. Tout commence à l’adolescence, quand il se sait déjà futur praticien œuvrant pour la solidarité internationale. Après ses études de médecine, hors de question pour lui de s’enfermer entre les quatre murs d’un cabinet. « Je voulais être dans une action qui ait du sens, qui m’amène à voyager, à rencontrer des cultures, des sociétés différentes », se remémore-t-il.
Mais il ne souhaitait pas non plus se lancer dans l’aventure sans une formation pluridisciplinaire. « Je savais que pour faire de l’action humanitaire j’aurais à comprendre des environnements, des contextes politiques et internationaux, des logiques d’acteurs. » Cet intellectuel a donc complété sa formation par une maîtrise de sciences politiques et un DEA d’anthropologie politique.
Un passeport bien rempli
À 54 ans, cet enfant du Maroc a d’abord sillonné le monde avec Médecins sans frontières avant de devenir directeur des opérations France puis internationales pour Médecins du monde. Niger, Afghanistan, Iran, Érythrée ou plus récemment Congo et Ukraine, son passeport est bien tamponné. Pour lui, terrain rime avec enseignement. « On y améliore notre pratique de la médecine clinique, on y reste en contact avec les réalités opérationnelles, on y est au plus près des gens et de leurs besoins. »
Autant d’atouts indispensables à ses yeux pour assumer aujourd’hui le rôle de président de l’ONG, un poste qu’il occupe depuis juin 2024. Cette nouvelle fonction l’a quelque peu éloigné de l’exercice clinique, mais le praticien garde d’excellents souvenirs de ses missions. « Je pense à ma première fois en Érythrée, où on faisait des actions dans la montagne à dos de chameau, sur la ligne de front avec l’Éthiopie », glisse-t-il. Mais derrière « le côté un peu romantique du french doctor », qui fait aujourd’hui sourire Jean François Corty, le métier connaît aussi son lot de difficultés.
La solidarité internationale de plus en plus fragilisée
« L’action humanitaire peut être instrumentalisée, source de controverses, se désole le médecin. Prenez l’exemple du corridor humanitaire voulu par Donald Trump pour casser le blocus de l’armée israélienne et livrer de la nourriture à Gaza par la mer. On sait pertinemment que le meilleur moyen de faire rentrer l’aide c’est depuis l’Égypte ou Israël. On marche sur la tête. »
En plus de l’impact sur leur travail, le contexte n’épargne pas non plus les acteurs humanitaires, qui se trouvent parfois dénigrés, entravés, voire criminalisés. « Il n’y a plus la même aura ou le même respect que dans les années 1990, déplore-t-il. Une frange populiste, imbibée d’idéologie suprémaciste et d’extrême droite, considère nos associations comme illégitimes. »
Mais lui reste déterminé à ne rien céder : « Nous sommes dans un combat culturel. Avec des gens qui assument de manière débridée, frontale des idées racistes. Nous, il faut qu’on assume de manière décomplexée des valeurs de solidarité. »
Sur le terrain, les équipes sont de plus en plus exposées. « Chaque année, il y a une augmentation d’incidents sécuritaires touchant les humanitaires, qui sont de plus en plus souvent pris pour cibles. À Gaza, près de 350 travailleurs humanitaires ont été tués, parfois délibérément », dénonce le président de Médecins du monde. Le ton est grave, mais rien dans son attitude ne laisse transparaître de l’iinquiétude.
Jean-François Corty a l’optimisme chevillé au corps. « En tant que médecin, quand je diagnostique un cancer chez un patient, je ne baisse pas les bras, même si le pronostic vital est engagé. C’est la même chose pour l’action humanitaire. » Et, s’il arrive que le vase déborde, le professionnel se vide la tête : « Lire, écouter de la musique, faire du sport… J’ai une vie à côté qui me rappelle que l’existence est faite de plein d’autres choses que la violence. »